De minuscules crustacés se régalent de méduses pendant la nuit polaire arctique

Dans le silence sinistre et l’obscurité profonde de la nuit arctique, une guerre silencieuse fait rage sous les surfaces glacées. Au milieu de températures qui geleraient la plupart des formes de vie, de minuscules crustacés se sont adaptés pour prospérer.

Ces amphipodes, découverts dans le Kongsfjorden, au Svalbard, ne font pas que survivre ; ils s’attaquent à des méduses vivantes, un comportement jusqu’alors inédit et non documenté.

Une bataille cachée sous la glace

Les scientifiques savent depuis longtemps que les ressources alimentaires se raréfient pendant ces nuits prolongées. De nombreux organismes marins entrent dans un état de repos métabolique pour conserver leur énergie.

Cependant, ces amphipodes ont développé une stratégie différente ; ils passent d’un régime alimentaire spécialisé à devenir des prédateurs omnivores.

« Ce sont des mangeurs opportunistes qui peuvent passer du statut d’herbivore ou de détritivore à celui de carnivore en fonction de la disponibilité de nourriture », explique le Dr Charlotte Havermans, chercheuse à l’Institut Alfred Wegener en Allemagne et auteur principal de l’étude qui a révélé ce phénomène. .

Le Dr Havermans et ses collègues effectuaient un échantillonnage de routine de la faune marine du Kongsfjorden, un fjord situé sur la côte ouest du Spitzberg, la plus grande île de l’archipel du Svalbard.

Ils utilisaient un dispositif appelé LOKI (Light-frame on-sight key espèces investigation system), qui est essentiellement une caméra attachée à un filet qui capture des images et des spécimens d’organismes planctoniques dans la colonne d’eau.

En examinant les images et les échantillons, ils ont remarqué quelque chose d’inhabituel : plusieurs amphipodes de différentes espèces étaient attachés ou proches de la méduse, et certains d’entre eux présentaient des marques de morsure visibles ou des parties manquantes.

Ils ont également observé que les méduses étaient toujours vivantes et en mouvement, ce qui indique qu’elles n’étaient pas récupérées après leur mort.

Les chercheurs ont été étonnés par cette découverte. Ces crustacés ont développé un mécanisme leur permettant de profiter d’aliments potentiellement moins gratifiants disponibles pendant les durs mois d’hiver. Il ne s’agit pas seulement de survie, mais d’une danse complexe d’adaptation et d’évolution.

Adaptation et survie : le secret des amphipodes

Les amphipodes appartiennent à un groupe de crustacés appelés amphipodes hyperidés, largement répartis dans les océans du monde et jouant un rôle important dans la chaîne alimentaire marine.

On les trouve généralement dans la zone mésopélagique, qui est la couche d’eau située entre 200 et 1 000 mètres de profondeur, où la lumière est rare et la pression est élevée.

Les amphipodes hyperidés présentent une diversité remarquable de formes, de tailles et de couleurs. Certains d’entre eux ont de grands yeux, antennes ou appendices qui les aident à détecter et à capturer leurs proies.

D’autres ont un corps transparent ou réfléchissant qui les aide à se camoufler ou à éviter les prédateurs. Certains d’entre eux possèdent même des organes bioluminescents qui produisent de la lumière pour communiquer ou attirer.

Ces adaptations sont le résultat de millions d’années d’évolution en réponse aux conditions environnementales et aux interactions écologiques de ces animaux.

Cependant, les amphipodes du Kongsfjorden ont montré une adaptation plus récente et plus rapide aux changements saisonniers extrêmes de l’Arctique.

L’Arctique se caractérise par un contraste saisissant entre les longues journées d’été et les longues nuits d’hiver. Pendant l’été, le soleil ne se couche jamais et l’eau est riche en phytoplancton, des algues microscopiques qui constituent la base de la chaîne alimentaire marine.

Durant l’hiver, le soleil ne se lève jamais et l’eau est recouverte d’une épaisse couche de glace, qui bloque la lumière et réduit la production primaire.

Cela signifie que les ressources alimentaires des amphipodes et autres organismes marins varient considérablement tout au long de l’année. Pendant l’été, les amphipodes peuvent se nourrir du phytoplancton abondant ou d’autres zooplanctons herbivores, qui sont de petits animaux qui broutent les algues.

Pendant l’hiver, cependant, les amphipodes doivent compter sur d’autres sources de nourriture, comme les détritus, qui sont des particules organiques qui coulent de la surface, ou d’autres animaux encore actifs dans l’obscurité.

Les chercheurs émettent l’hypothèse que les amphipodes ont appris à exploiter les méduses comme source de nourriture alternative pendant l’hiver. Les méduses sont des cnidaires, qui sont des invertébrés dotés de cellules urticantes appelées nématocystes.

Ils utilisent ces cellules pour capturer et paralyser leurs proies, qui sont généralement de petits poissons ou du zooplancton. Cependant, les amphipodes semblent avoir développé un moyen d’éviter ou de résister aux nématocystes et de se nourrir des méduses sans être blessés.

Les chercheurs soupçonnent que les amphipodes utilisent leurs mandibules pointues, qui sont des pièces buccales utilisées pour mordre et mâcher, pour percer les méduses et aspirer leurs fluides et leurs tissus.

Ils suggèrent également que les amphipodes pourraient avoir une certaine protection chimique ou physique contre les nématocystes, comme une cuticule épaisse, qui constitue la couche externe de leur exosquelette, ou une couche de mucus, qui est une substance visqueuse qui recouvre leur corps.

Les chercheurs notent également que les amphipodes pourraient bénéficier de la relation symbiotique qu’entretiennent certaines méduses avec les algues. Certaines méduses, comme celles du Kongsfjorden, abritent des algues à l’intérieur de leurs cellules, qui leur fournissent de l’oxygène et des nutriments grâce à la photosynthèse.

Les amphipodes pourraient accéder à ces algues et obtenir une partie de l’énergie et du carbone qu’elles produisent.

Cette révélation souligne un aspect essentiel de l’écologie arctique : la vie est résiliente, adaptative et bien plus complexe qu’on ne le pensait auparavant.

Chaque découverte comme celle-ci rapproche les scientifiques de la résolution des mystères encapsulés dans ce monde gelé.

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