Les Yes Men, Jacques Servin et Igor Vamos, a.k.a. Andy Bichlbaum et Mike Bonanno, sont les deux guérilleros, par ailleurs professeurs en « media art », qui se sont donné pour mission depuis 1999 de démontrer à l’aide de canulars, pour certains jouissifs, l’absurdité et la vanité du dogme néolibéral. Après Exxon, Dow Chemical ou encore l’OMC, les Yes Men s’attaquent à Shell, qui compte sérieusement aller défoncer l’Arctique pour quelques pétrodollars ! Mike Bonnano s’est fait un plaisir de répondre à nos questions. Enjoy.
Comment avez-vous décidé de collaborer avec Greenpeace sur le détournement de la campagne publicitaire de l’arrivée de Shell en Arctique ?
Nous sommes les fondateurs d’une organisation qui s’appelle le Yes Lab, qui s’affilie à d’autres organisations pour coordonner des actions qui permettront à leurs campagnes militantes des coups de pouce en publicité à des moments critiques. Dans le cas de Greenpeace, ils étaient confrontés à une injonction juridique qui interdisait d’approcher à moins d’un kilomètre les plates-formes pétrolières que Shell érigeait dans l’Arctique, tout cela rendait ainsi impossible les méthodes habituelles de protestation, comme l’occupation et/ou le blocage des plates-formes. Alors, ils nous ont contactés et nous les avons aidés à formuler une stratégie.
A ce jour, quel est le bilan de la campagne Arcticready et la diffusion de la vidéo ?
La campagne a très bien marché. Il y a eu plus de 820 000 vues sur YouTube, et ça a généré beaucoup de discussions. Plus de dix mille fausses publicités ont été réalisées par des utilisateurs et des centaines d’articles ont été publiés. Pourtant, Shell compte avancer dans ses projets fous de forage en Arctique, où la calotte glaciaire est en pleine récession.
Faire une fausse vidéo comme celle que vous avez réalisée sur des dirigeants faisant la fête pourrait au final tourner à son avantage la cible… J’ai l’impression que les fausses conférences de presse et les fausses interviews que vous avez montées dans le passé ont pu être plus efficaces. Qu’en pensez-vous ?
Faire une fausse vidéo pour générer du buzz n’est pas un crime – mais faire frire la planète en est un. Même si on considère que ce n’est pas bien – il n’y a pas de victimes, alors que les actions de Shell dans l’Arctique vont accélérer le changement du climat, contribuant à une boucle de rétroaction qui à l’heure actuelle et selon l’Onu tue plus de 300 000 personnes chaque année et fort probablement des millions de personnes et d’espèces dans le futur immédiat.
En France, la ministre de l’Écologie, Nicole Bricq, a été limogée après avoir décidé seule de retirer l’autorisation à Shell de faire des forages en Guyane. Pourriez-vous faire quelque chose pour informer les gens de ce qui se passe aussi dans cette région ?
Dis donc, ça à l’air très intéressant. Nous devons faire quelque chose, nous n’étions pas au courant !
Quelles sont les conséquences pour l’Arctique si Shell réussit à démarrer ses forages ? Une multiplication des forages ?
Ce sont les premiers. Une fois que la glace aura été brisée, il est probable qu’après une premier vague de protestations et de mauvaises publicités, ils ouvriront le site aux autres exploitants. Mais si nous sommes intelligents, nous forcerons nos gouvernements et l’Onu à faire une réserve arctique, comme dans l’Antarctique.
Croyez-vous que les réseaux sociaux ont le pouvoir de contraindre le gouvernement des États-Unis à annuler l’autorisation qu’il a donnée à Shell de faire des forages dans l’Arctique ? Est-ce que vous croyez dans l’activisme « online » ?
Nous croyons en toutes formes d’activisme politique. Toutes les méthodes, tous les moyens sont nécessaires. Mais c’est très important de ne pas se contenter de son « clicktivisme », il faut se motiver pour descendre dans la rue et utiliser les compétences que vous possédez pour faire vivre le changement.
Quels sont les buts « Yes Men » ? Le capitalisme et l’éthique ne peuvent pas cohabiter ? Est-ce votre message ?
Nous voulons contribuer à un mouvement qui remplace ce système capitaliste insensé avec quelque chose qui fait plus de sens au niveau de l’environnement et de la durabilité. Nous concevons nos actions comme étant post-idéologique : nous voulons appliquer n’importe quelle méthode qui marche face aux problèmes qui se présentent. Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de débattre inutilement sur qui est coco, anar, ou capitaliste : nous devons nous servir de tout ce que l’on peut pour agir sur les problèmes en face.
S’infiltrer dans une conférence, c’est proche de ce que les hackers appellent l’« ingénierie sociale ».
Pourquoi chaque manifestation ou action doit être « fun » ?
Le « fun » aide à recruter plus de gens pour plus de « fun ! ». C’est une manière positive de transmettre un message, ce qui suggère que des alternatives existent.
Vous considérez-vous comme des hackers ?
Des fois nous utilisons des méthodes apparentées au hacking. Comme quand nous réussissons à nous infiltrer dans une conférence, c’est proche de ce que les hackers appellent l’« ingénierie sociale ».
Qu’est-ce que cela vous fait de savoir que vous êtes surveillés au nom de la sécurité intérieure ?
C’est flatteur et amusant. C’est beaucoup de boulot d’étudier des milliers d’emails. Nous sommes très impressionnés qu’ils aillent jusque-là mais nous ne sommes pas inquiets. Tout cela semble très brouillon et confus.
Quel est votre canular préféré ?
Je les aime tous ! Mais, peut-être que l’annonce que nous avons faite au nom de Dow Chemical sur la BBC (vidéo ci-dessous) était mon préféré, en partie parce que c’était tellement difficile pour nous de savoir si cela allait marcher. Puis l’info est remontée en premier titre de Google News.
Pensez-vous que les grands médias ont échoué dans leur mission ?
Nous aimons les médias, le journalisme, mais il faut plus de journalistes payés – des professionnels. L’écroulement du marché de l’information, et les pressions pécuniaires qui pèsent sur les diffuseurs de l’info ont été extrêmement nocives pour le journalisme. Une démocratie ne peut pas fonctionner sans des citoyens informés. Mon argument est que ceci est impossible avec un média basé sur le revenu de la publicité.
Dans combien de pays votre film est-il sorti ? Quel a été son impact ?
The Yes Men Fix the World est sorti dans une douzaine de pays. Aux États-Unis, nous avons probablement eu le plus d’impact, mais d’une manière indirecte beaucoup de jeunes qui ont rejoint le mouvement Occupy nous ont dit avoir été inspirés par le film, c’est flatteur. Si au moins un d’eux disait vraiment la vérité, c’est une très grande réussite – aider à les inspirer et contribuer à la naissance d’un mouvement.
Maintenant, c’est le moment d’abandonner notre dépendance face à la politique électorale.
Avez-vous déjà été arrêtés ?
Moi non, mais je continue d’essayer !
Comment assurez-vous vos arrières face aux différents soucis juridiques que vous pourriez rencontrer ?
Nous avons d’excellents avocats bénévoles, des membres de l’Electronic Frontier Foundation.
Comment font vos bénévoles pour coordonner les actions des diverses campagnes que vous concevez ?
Actuellement, nous avons une base de données et quand il se passe quelque chose, nous envoyons des mails à tout le monde dans la région concernée qui pourrait aider. Bientôt nous allons renforcer ce système avec divers supports, en tandem avec la sortie de notre nouveau film.
En 2009, vous avez dit : «Ce qui est vraiment excitant avec Obama c’est qu’il nous a donné le courage de battre pour le changement. C’est pas lui qui va faire bouger les choses, mais je pense que ça va aider ». Qu’en pensez-vous maintenant ?
Maintenant, c’est le moment d’abandonner notre dépendance face à la politique électorale. Nous avons besoin de changement. Nous avons besoin de nous révolter.
Quel conseil donnez-vous à ceux qui veulent suivre vos pas, et vous aider dans vos missions ?
« Just do it ! » N’hésitez pas – faites le de votre mieux.
Êtes-vous anarchistes ?
Nous sommes post-idéologiques.
Êtes-vous optimistes quant à l’avenir ? Est-que vous croyez que notre système se réveillera un jour pour se rendre compte que les peuples ont assez été opprimés ?
Il faut être optimiste. Être pessimiste veut dire perdre la planète telle que nous la connaissons. Nous devons nous battre durement, et maintenant. C’est maintenant ou jamais, les amis ! Révoltez-vous !