Nous avons vu comment la circulation thermohaline (du grec thermos, « chaud », et halinos, « salin ») pilote les mouvements des masses d’eau à grandes échelles au cours de l’histoire. Ce sont ces deux paramètres, chaleur et salinité, qui provoquent les variations de densité à l’origine de la dynamique océanique. Les zones de formation d’eau profonde qu’on appelle aussi zones de convection créent un flux de 15 millions de m3 par seconde et stimulent les courants de l’océan Nord-Atlantique. Ceux-ci se succèdent des moyennes aux hautes latitudes : le Gulf Stream, la dérive Nord-Atlantique et enfin le courant de Norvège. Le Gulf Stream est un maillon de la chaîne qui transporte des masses d’eau formées à l’est de la Floride et alimentées par des eaux en provenance du golfe du Mexique, qui se dirigent vers le nord et le nord-est. En réalité, il ne faut pas imaginer ce courant comme un « long fleuve tranquille ». C’est un courant au tracé fragmenté en segments sinueux qui transporte aux moyennes latitudes de l’océan Atlantique des eaux chaudes et salées poursuivant ensuite leur voyage dans la dérive Nord-Atlantique et enfin dans le courant de Norvège. Ces masses d’eau se refroidissent mais gardent leur caractère sursalé. De plus, en bordure de banquise, les eaux froides renforcent leur salinité par expulsion du sel lors de la formation de la banquise. L’hiver, ces eaux très froides et très salées plongent jusqu’à 3 500 mètres de profondeur et tapissent le fond de l’océan Atlantique Nord.
Cette situation est spécifique à l’Atlantique Nord. Il en va en effet tout différemment dans le Pacifique Nord où il n’y a pas de phénomène de convection, les masses d’eau n’étant pas suffisamment denses. Sans convection profonde, le transport d’énergie vers le nord dans le Pacifique est bien plus faible que dans l’Atlantique.
Pour ces deux bassins, la rotation de la Terre entraîne dans l’hémisphère Nord une circulation anticyclonique (dans le sens des aiguilles d’une montre) avec des courants chauds sur les bords ouest (Gulf Stream pour l’Atlantique, Kuroshio pour le Pacifique) et, à l’autre extrémité, sur l’est du bassin, des courants plus froids (courant des Canaries pour l’Atlantique, courant de Californie pour le Pacifique). Ainsi, le courant du Kuroshio qui longe la côte japonaise transporte certes des masses d’eau chaudes, mais elles sont nettement moins salées que dans l’Atlantique Nord. La différence provient de la salinité des zones subtropicales. C’est cette disparité de circulation thermohaline qui conduit, par exemple, à des températures hivernales plus basses en Alaska qu’en Norvège pour des latitudes similaires.
La question qui se pose dans le cadre du réchauffement climatique est : se peut-il qu’une diminution des plongées des eaux profondes conduisant à un ralentissement du transport méridien en Atlantique Nord provoque un arrêt du Gulf Stream qui refroidirait drastiquement les températures de l’ouest de l’Europe ? Une hypothèse fondée sur des précédents durant la dernière période glaciaire, lorsque les énormes calottes de glace qui couvraient les moyennes et hautes latitudes de l’Amérique et de l’Europe se purgeaient et tapissaient l’Atlantique Nord d’icebergs. Le flux d’eau douce associé inhibait la formation d’eau profonde, ce qui avait pour effet de couper la circulation thermohaline. Dans les scénarios pour le XXIe siècle, le fort réchauffement des températures de surface océanique à haute latitude et l’eau douce provenant de la fonte des calottes et de la banquise arctique pourraient à leur tour, dans un contexte différent des variations climatiques glaciaires, provoquer un fort ralentissement du Gulf Stream et un refroidissement des températures en Europe occidentale. Toutes les simulations effectuées avec les scénarios du GIEC, même les plus pessimistes, ne montrent pas un tel refroidissement, ni un arrêt du Gulf Stream. En revanche, elles indiquent un ralentissement du transport méridien de chaleur dans le bassin Nord Atlantique qui pourrait freiner le réchauffement en Europe occidentale.