Le groupe 3 du GIEC étudie les scénarios possibles des évolutions démographiques, économiques et technologiques, et donc d’émissions de gaz à effet de serre, tels qu’ils sont publiés dans les revues académiques. Ce travail fait également appel à des connaissances des ressources naturelles – énergies fossiles, uranium, vent, soleil, hydrauliques… – et à des anticipations sur les futures technologies. Ces différents domaines font également l’objet de discussions scientifiques. Quel est le scénario démographique le plus probable ? Quels sont les stocks géologiques d’énergies fossiles ?
Toutefois, le plus controversé relève de la science économique. Plusieurs centaines d’articles de sciences économiques paraissent chaque année sur le changement climatique. Mais sans qu’émerge aucun consensus. Les controverses portent sur la mesure des dégâts du changement climatique et sur les outils économiques susceptibles de permettre de maîtriser les émissions et de les réduire au niveau nécessaire à l’atteinte des objectifs climatiques de la Convention.
Dès 1975, l’économiste William D. Nordhaus publie un article, « Peut-on contrôler le dioxyde de carbone ? ». D’après lui, un doublement de la teneur en CO2 de l’atmosphère ne modifierait pas plus le climat que les variations naturelles des « derniers milliers d’années ». Ce changement ne serait que « temporaire ». Et s’il s’avère que nous avons sous-estimé les conséquences du réchauffement climatique, il sera toujours temps « d’enlever du CO2 de l’atmosphère ». Enfin, il conclut que le scénario « optimal » des émissions de CO2 – mesuré à son effet sur le PIB dont la croissance reste l’indicateur à rechercher – est identique à un business as usual jusqu’aux années 1990 et qu’il faudra peut-être faire quelque chose… aux alentours de « 2020 ». En résumé, le premier économiste à s’intéresser à la question conseille de continuer à brûler du carbone fossile sans se limiter. En 2018, William Nordhaus reçoit le prix de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel et réitère son analyse, indiquant que même un dérapage climatique de plus 6 °C ne coûterait que 10 % du PIB mondial. Logique, alors, qu’il ne propose pas de bouleverser l’économie.
Pourtant, entre 1975 et 2018, des dizaines d’économistes ont publié des analyses opposées à la sienne, soulignant que les dégâts d’un tel dérapage sont ingérables. Mais, jusqu’aux années 2000, ces économistes sont des spécialistes de l’environnement, du développement, de l’énergie, et travaillent plutôt aux marges des courants dominants, quand ils ne sont pas hétérodoxes, plus souvent critiques de l’économie de marché que thuriféraires de la déréglementation, des inégalités sociales et de la main invisible des marchés financiers censée allouer à la perfection les ressources disponibles. D’où de virulentes controverses sur les moyens d’action – taxes versus règles ou quotas, incitations fiscales versus politiques sectorielles, laisser-faire versus politiques sociales vigoureuses, intervention directe de l’État dans l’économie versus non-intervention, contrôle ou non des activités des sociétés multinationales par les États, la croissance du PIB comme objectif majeur versus sa décroissance en lien avec celle de l’usage des énergies et des matières premières – avec des représentants des courants dominants.
Puis nombre de gouvernements cherchant à échapper aux conclusions du groupe 3 du GIEC sur les moyens d’une politique climatique sérieuse se sont tournés vers des économistes « officiels », déjà en charge de les conseiller et n’ayant souvent jamais publié sur le sujet. Or, ces experts sans bagages sont souvent représentatifs d’une incapacité structurelle du courant dominant de l’économie académique à intégrer les informations issues des sciences de la nature – climatologie, géologie –, voire de l’ingénierie, dans leurs analyses. L’absence de consensus en sciences économiques appliquées au changement climatique semble donc reposer sur une double origine. D’une part, sur le pluralisme du champ scientifique et universitaire de l’économie. Et d’autre part, sur des outils – PIB, modèles, comptabilité nationale, mesures relatives des efforts présents et des gains ou dégâts futurs et lointains… – imperméables aux réalités matérielles à la source du problème climatique et à ses conséquences. Le défi climatique pourrait ainsi secouer les bases conceptuelles de la science économique.
Le rapport spécial du GIEC sur l’objectif des 1,5 °C de l’accord de Paris souligne que les seules politiques susceptibles d’y parvenir – donc la quasi-disparition du charbon d’ici 2050 et une réduction drastique du pétrole et du gaz – font appel à de véritables révolutions économiques, techniques et socioculturelles. Mais, rappelons-le, le GIEC ne préconise aucune politique. Cela reviendrait pour lui à sortir de son mandat.