Y a-t-il assez d’énergies fossiles pour changer le climat au-delà des 2 °C ?

Les ressources en charbon, gaz et pétrole sont certes limitées puisque leur reconstitution par la nature prendrait des millions d’années. Il s’agit donc de stocks épuisables. Mais il y en a assez dans le sous-sol pour que leur usage change le climat au-delà des 2 °C d’élévation de la température planétaire. Pourtant, on parle souvent de la pénurie d’énergie qui pourrait se profiler. Comment comprendre cette apparente contradiction ?

Les gisements de charbon sont très abondants et pourraient supporter plus d’un siècle de production au niveau actuel. À eux seuls, ils suffisent à faire basculer le climat bien au-delà des 2 °C. En outre, le charbon peut être transformé en carburant liquide ou gazeux. Même si l’opération coûte cher, elle est techniquement réalisable (les premiers éclairages urbains ont pu être alimentés en gaz obtenu à partir de charbon) et peut donc remplacer gaz et pétrole pour leurs usages spécifiques.

Les réserves de pétrole sont moins abondantes et une culmination de la production de pétrole conventionnel a probablement déjà été franchie en 2008 avec un peu moins de 70 millions de barils par jour. Depuis, sa production a décliné de 2,5 millions de barils par jour. Mais la production totale a continué d’augmenter à près de 100 millions pour 2018 grâce aux pétroles dits non conventionnels : pétrole de roches-mères (ou de schiste), réservoirs compacts, gisements profonds sous-marins. C’est grâce à ce type de gisements que les États-Unis ont retrouvé leur production maximale de 1971. Si l’AIE prédit un pic pétrolier total pour 2025, ces nouvelles ressources pourraient bien transformer cet acmé en plateau avant le déclin inéluctable qui suivra. Un paradoxe surgit alors : tant que les consommateurs pourront en payer le prix, ce dernier ne cessera d’augmenter et les réserves de croître en apparence, car il sera possible d’exploiter un pétrole plus cher à extraire. Toutefois, il sera la première des énergies fossiles à nous faire défaut, progressivement, avant 2050 et dès les années 2030 selon certains experts. La seconde moitié du XXIe siècle cumulera donc deux défis : le changement climatique et la pénurie de cette énergie si pratique.

Quant au gaz naturel, sa production s’accroît plus rapidement que celle de toutes les autres énergies fossiles. Elle atteignait plus de 3 600 milliards de m3 en 2018 contre environ 2 000 milliards en 1992. Ce gaz sera disponible, selon l’AIE, environ soixante ans au niveau actuel d’exploitation. Cette perspective pourrait se rétrécir si le rythme de l’augmentation actuelle de la consommation est maintenu… et déboucher sur le même double défi que celui du pétrole : le climat aura changé et nous manquerons de gaz naturel pour nos cuisinières, les usines à engrais, les centrales électriques.

Il est donc certain qu’un usage sans restriction des énergies fossiles conduirait à leur épuisement. Mais il faudrait ne pas utiliser… près de 80 % des réserves connues si l’on veut ne pas dépasser les 2 °C de réchauffement climatique, comme l’a montré l’étude publiée dans la revue Nature en 2015. Ainsi, si l’on souhaite atteindre cet objectif, la moitié des ressources de pétrole conventionnel, la majorité des ressources de gaz naturel et la quasi-totalité du charbon devraient rester sous terre. Presque tous les hydrocarbures non conventionnels, comme le gaz de schiste, devraient rester inexploités. Il ne faut donc pas compter sur l’insuffisance de ressources fossiles pour éviter le changement climatique : cette pénurie est inéluctable, mais elle viendra trop tard.

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