Pourquoi taxes et marchés du CO2 ne fonctionnent-ils pas bien ?

Le plus grand « marché du carbone » du monde a été mis en place par l’Union européenne en janvier 2005. Il s’agit d’un système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre entre entreprises. Son principe ? Pour lutter contre le réchauffement climatique, l’Union Européenne fixe un plafond d’émissions de gaz à effet de serre pour un secteur économique, puis répartit ce total sous la forme de quotas attribués à chaque entreprise – soit environ 100 000 sites fortement émetteurs (centrales électriques au charbon, gaz et fioul, cimenteries, usines) responsables d’environ 50 % des émissions de CO2 et d’environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne en 2005. Celles qui n’ont pas respecté leurs quotas peuvent acheter une possibilité d’émission auprès de celles qui ont dépassé leurs objectifs.

Si le principe semble bon, le résultat est pour le moins décevant jusqu’à présent. Pourquoi ? Tout simplement parce que les quotas attribués par les gouvernements et la Commission européenne étaient beaucoup trop élevés. Les entreprises n’ont donc guère eu de mal à les atteindre, et les certificats proposés par celles qui avaient dépassé leurs objectifs n’ont pas trouvé preneur. Leurs prix se sont écroulés : alors que la tonne de CO2 atteignait presque 30 euros en 2006, elle avait chuté à près de 5 euros en 2016. Une réforme du marché a été décidée en 2017, avec notamment une réduction des plafonds et quotas, qui a remonté les cours aux alentours de 16 euros la tonne en 2018, puis à près de 28 euros fin avril 2019. Le système fonctionnera-t-il enfin et contribuera-t-il à accélérer la transition vers une économie bas carbone ? Il faudra pour cela que les gouvernements et la Commission européenne diminuent régulièrement et fortement les quotas.

Les autres « bourses du carbone » mises en place dans le monde n’ont pour l’instant pas vraiment eu de résultats probants, pour des raisons similaires. En mai 2019, les trois quarts des émissions régulées par la taxe sur le carbone émis coûtent moins de 10 dollars (8 euros) la tonne. Or, pour viser les 2 °C de l’Accord de Paris, la Commission sur les prix du carbone présidée par les économistes Nicholas Stern et Joseph Stiglitz recommande des prix variant entre 40 et 80 dollars par tonne de CO2 en 2020, puis entre 50 et 100 dollars en 2030.

L’efficacité des taxes à la consommation concernant les produits fortement émetteurs de gaz à effet de serre est elle aussi à améliorer. Leur objectif est d’inciter les acteurs économiques, producteurs comme consommateurs, à faire le choix d’une énergie ou d’une technologie décarbonée en renchérissant le prix des énergies et des technologies carbonées. Lorsqu’il se couple à des décisions industrielles, d’urbanisme, de transports collectifs… et que le niveau des taxes est maintenu et augmenté de manière régulière sur une longue durée, le système fonctionne et est accepté, comme le montre l’exemple de la Suède où la taxe atteint 120 euros la tonne de carbone.

Ce dispositif ne peut donc être efficace que si les alternatives existent et s’il est socialement accepté. Deux crises sociales françaises, liées à des taxes carbone, ont montré que ces deux conditions sont indispensables. Le mouvement des Gilets jaunes, en 2018-2019, a ainsi été provoqué par une augmentation des prix des carburants attribuée à une telle taxe. Comme celui des Bonnets rouges en 2013, notamment en Bretagne, qui s’est terminé par la destruction des dispositifs de prélèvement d’une écotaxe sur les camions. Si les nouvelles taxes sur la consommation de carbone, donc d’énergies fossiles, sont perçues comme injustes socialement, pesant plus sur les pauvres que sur les riches, alors elles ne sont pas acceptées.

Ces deux épisodes prouvent que pour qu’une société admette une restriction forte sur l’usage des énergies fossiles, il est indispensable que la mesure s’accompagne d’une vigoureuse réduction des inégalités sociales et que son coût soit compensé pour les couches sociales populaires. Cette compensation, pour être efficace, ne doit pas suivre l’augmentation des taxes mais la précéder. Un tel dispositif est possible avec une politique du logement diminuant le coût de ce dernier pour les familles populaires, ce qui leur permet d’encaisser l’augmentation future de la part due aux transports par route. D’autres solutions sont envisageables pour atteindre ce but – comme des transports publics de qualité et moins chers –, à condition qu’elles soient aussi mises en place avant l’augmentation des taxes. Il est donc important de planifier toutes ces mesures.

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