Les manifestants qui réclament des actions efficaces de la part des gouvernements pour lutter contre le changement climatique ciblent souvent, et avec raison, les énergies fossiles. Le charbon, le pétrole et le gaz. Ils revendiquent un arrêt de l’exploitation de ces énergies qui, selon eux, servent surtout à remplir les caisses des multinationales.
Ces slogans ont une base solide, puisque l’usage massif du carbone fossile est effectivement la cause principale du changement climatique (à plus de 75 %). Et que la réduction de son utilisation constitue l’action prioritaire à conduire pour diminuer les émissions de CO2. Mais, pour y parvenir, il est nécessaire de considérer sans naïveté les raisons pour lesquelles nous avons autant recours à ces combustibles fossiles. Et pourquoi leur emploi n’a pas faibli depuis 1992.
Le charbon sert aujourd’hui surtout à alimenter les centrales électriques et à fabriquer de la fonte, de laquelle on tire l’acier. Le pétrole est massivement utilisé pour alimenter les moteurs thermiques fixes et surtout mobiles (voitures, camions, avions, navires) qui monopolisent 60 % de la production mondiale, mais aussi pour toute l’industrie chimique et des plastiques. Quant au gaz, il alimente surtout les centrales électriques et chauffe les bâtiments. Or, pour tous ces usages, les caractéristiques physico-chimiques de ces trois combustibles permettent d’obtenir l’abondance, un prix bas, des densités d’énergie très élevées, des produits faciles à utiliser et transporter. Un ensemble de performances qui expliquent à elles seules leur succès et le fait qu’elles représentent plus de 80 % de l’énergie totale utilisée par l’humanité : 31,9 % pour le pétrole, 27,1 % pour le charbon et 22,1 % pour le gaz en 2016 selon l’AIE. Les progrès en matière d’espérance de vie en bonne santé, d’accès à l’éducation, aux transports, d’urbanisation, comme l’essor économique général qui a marqué le XXe siècle, ont été en majeure partie permis par ces énergies fossiles.
Il faut bien sûr ajouter que ces dernières ont rendu possible un accès à des niveaux inouïs de puissance économique, financière, voire militaire, pour des sociétés privées et des États. Le propriétaire principal de la Standard Oil, John Rockefeller (1839-1937), fut ainsi l’homme le plus riche de tous les temps. Le pétrole a également joué un rôle déterminant dans les conflits militaires depuis la fin de la Première Guerre mondiale, voire participé à les provoquer. Des intérêts puissants sont donc à l’œuvre pour en prolonger l’usage malgré les dégâts climatiques, comme le montrent la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris ou les manœuvres des sociétés multinationales de l’énergie fossile contre toute politique restreignant leurs activités.
Mais leurs seules performances technico-économiques expliquent pourquoi leur opposer des énergies alternatives suppose souvent un soutien étatique, des subventions et à l’inverse des taxes sur charbon, pétrole ou gaz pour en décourager l’usage final. Une politique qui ne ferait appel qu’aux marchés ne peut que leur être favorable. En outre, les technologies alternatives ne sont pas (encore ?) capables de les remplacer rapidement à l’échelle mondiale. L’électricité solaire ou éolienne, par exemple, souffre de son intermittence que, pour l’instant, aucun moyen de stockage à la dimension des consommations d’un grand pays industrialisé ne peut compenser. Sous-estimer la difficulté économique et technique du défi énergétique ne peut que conduire une politique climatique à l’échec.