Peut-on atteindre les objectifs climatiques sans diminuer les consommations ?

La réponse à cette question suppose de revenir sur la notion de justice climatique. Puisque les 10 % les plus riches de la population mondiale émettent 50 % des gaz à effet de serre et que les 50 % les plus pauvres n’en sont responsables que de 10 %, cela signifie certainement que la réponse ne sera pas la même pour ces deux populations. Il semble en effet très difficile d’atteindre la diminution de 80 % des émissions du premier groupe sans qu’il réduise sa consommation d’objets manufacturés et de matières premières. Or, presque toute la population française fait partie de ces 10 % les plus riches du monde. Tandis que le second groupe, qui comprend notamment 700 millions d’êtres humains vivant avec moins de 2 euros par jour, ne peut être soumis à la même obligation.

L’Ademe a publié en 2018 une étude pour illustrer le « poids » de carbone des objets quotidiens usuels d’une famille française : électroménager, meubles, vêtements, équipements électroniques… Un poids dont le calcul réunit toutes les émissions liées à la vie complète de l’objet, des matières premières et de l’énergie mobilisées pour sa fabrication jusqu’à sa fin comme déchet en passant par son utilisation et sa commercialisation. Par exemple, celles nécessaires pour une machine à laver moyenne : 37 kg d’acier, 18 kg de béton, 13 kg de plastique, 2,7 kg d’aluminium, 1,4 kg de cuivre, 1,9 kg de verre et 1,9 kg d’autres métaux (zinc, chrome, or, plomb, laiton, nickel). Le total des émissions de CO2 liées aux objets d’une famille française moyenne correspond aux émissions de six allers-retours en avion entre Paris et New York. Un téléviseur moyen pèse 11 kg, mais il a fallu mobiliser 2,5 tonnes de matières premières pour le fabriquer et les émissions liées représentent un aller-retour en avion Paris/Nice.

Comment faire diminuer ces consommations ? Une première réponse est à trouver au niveau individuel. Réfléchir à ses besoins avant d’acheter : les Français acquièrent 60 % de vêtements de plus en 2015 qu’en 2002 et les gardent moitié moins longtemps. Choisir les objets et équipements les plus sobres et les plus durables, réparer plutôt que remplacer, partager l’usage d’équipements, privilégier les circuits courts d’approvisionnement alimentaire, les fabrications industrielles locales, les transports collectifs et électriques au détriment de la voiture à pétrole… Mais cet appel à la conscience écologique individuelle ne peut être efficace sans des actions collectives.

Ces dernières peuvent jouer sur l’offre. Des réglementations thermiques exigeantes pour les constructions, des normes sévères pour la consommation énergétique des objets, agir contre l’obsolescence programmée, un urbanisme et une politique de transports publics visant des villes peu émettrices de CO2 par leurs habitants, des incitations fiscales vers les pratiques économes et des taxes sur les gaspillages (favoriser les véhicules propres et légers, taxer les gros véhicules à pétrole et autres mesures de lutte contre le réchauffement climatique)…

Ces actions collectives peuvent influer sur la demande. Le niveau de consommation actuel dans les pays riches résulte en partie de la pression publicitaire dont l’origine se trouve dans l’immédiat après-guerre, lorsque industriels et commerçants américains ont mis au point les techniques de la publicité de masse. Les comportements addictifs liés à la frustration de consommation qui en résultent peuvent être à leur tour combattus par une révolution culturelle passant par un contrôle sévère, voire l’interdiction, de la publicité. Mais, des économistes l’ont déjà noté, une telle voie suppose là aussi une vigoureuse politique de réduction des inégalités sociales. C’est l’avis de l’économiste Thomas Piketty selon lequel « on voit mal comment les classes moyennes et populaires des pays riches comme des pays émergents accepteraient de changer leur mode de vie (ce qui est pourtant indispensable) si on ne leur apporte pas la preuve que les plus aisés sont mis à contribution ».

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