Le GIEC est-il indépendant des gouvernements ?

On pouvait craindre que cette organisation uniquement chargée de fournir une expertise aux gouvernements en soit le jouet, surtout des plus puissants. L’histoire en a décidé autrement, pour des raisons parfois simples et parfois subtiles. La principale est qu’en se fixant comme règle d’expertiser les publications scientifiques, le GIEC ne pouvait faire appel comme experts qu’à des spécialistes habitués à se lire et à se critiquer les uns les autres dans les laboratoires. La communauté scientifique concernée s’y est pliée de bonne grâce, mais le résultat ne pouvait donc pas être différent des publications scientifiques elles-mêmes. Or, le discours officiel des pouvoirs politiques de la plupart des pays riches sur la science respecte son indépendance. C’est pourquoi, même les gouvernements américains les plus opposés à toute politique climatique – les Bush par exemple – n’ont jamais osé empêcher les climatologues américains de participer aux travaux du GIEC ni même donner pour consigne à leurs délégations aux sessions plénières de voter contre le résumé pour décideurs.

Une autre raison de l’incapacité des gouvernements à manipuler le GIEC résulte de leurs divergences de vues sur le sujet. Si des gouvernements climatosceptiques ou qui s’estiment moins à la merci que d’autres du réchauffement climatique peuvent être tentés d’influencer les rapports du GIEC en leur faveur, d’autres gouvernements, convaincus par les climatologues ou persuadés des enjeux négatifs du changement climatique pour leur pays, peuvent être tentés d’agir… en sens inverse. Pour se mettre à l’abri de ces pressions, si contradictoires qu’elles tendent à s’annuler les unes les autres, les scientifiques ont pu s’appuyer sur leur mission et sur une méthode.

Cette dernière se limite à l’expertise des publications des revues scientifiques. Les rédacteurs passent ainsi en revue des dizaines de milliers d’articles parus dans l’intervalle entre deux rapports et en font une synthèse critique. Cette méthode permet d’éviter toute critique présentant les rapports comme politiques ou idéologiques puisqu’ils trouvent leur origine uniquement dans la science. La recherche d’un accord entre scientifiques peut toutefois aboutir à des textes un peu trop prudents. Ainsi, la prise en compte du risque d’une élévation plus rapide que prévu du niveau marin en raison d’une réaction plus vive qu’estimé des calottes polaires au réchauffement a probablement été retardée par un manque de consensus sur le sujet. Finalement, si les climatosceptiques accusent le GIEC de faire de l’« alarmisme », son mode de fonctionnement débouche plutôt sur des textes susceptibles de sous-estimer l’ampleur et la rapidité des changements climatiques.

Lorsque les rapports complets et les résumés techniques sont finalisés et adoptés par les seuls scientifiques qui les rédigent, il reste à adopter phrase par phrase le résumé pour décideurs. C’est là que peuvent intervenir les délégations gouvernementales, la plupart du temps sans conséquence. En effet, une délégation gouvernementale est certes susceptible de demander le retrait ou la condensation d’une information, en invoquant un manque de consensus, mais elle ne peut demander aucun ajout : tout ce qui est écrit dans le résumé doit être issu des rapports complets. Ce pare-feu s’est révélé d’une grande efficacité et les scientifiques impliqués dans la rédaction des rapports du GIEC travaillent dans une grande indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques. Les gouvernements se retrouvent ainsi signataires des résumés pour décideurs, ce qui les met face à leurs propres contradictions lorsqu’ils contestent leurs diagnostics et demeurent inactifs face aux risques climatiques.

Pacte pour le Climat
Newsletter Pacte pour le Climat