Faut-il choisir entre le climat et l’emploi ?

Ce dilemme est à la base des retards à agir pour lutter contre le changement climatique. La plupart des dirigeants politiques et économiques estiment que la baisse de l’usage des énergies fossiles ne peut se traduire que par des pertes massives d’activités et d’emploi. Le raisonnement n’est pas faux, et il s’appuie également sur la nécessaire restriction des consommations de matières premières, d’énergies et d’objets manufacturés dans les sociétés riches. On ne peut réduire les transports aériens sans diminuer les emplois qui y sont liés.

Les partisans d’une politique d’atténuation de la menace climatique y opposent les emplois générés par les énergies alternatives (hydraulique, éolienne, solaire, géothermique, nucléaire, biomasse…), les emplois liés à la protection de l’environnement, le traitement des déchets… Et certains préconisent aussi une augmentation du travail humain dans l’agriculture, afin d’utiliser moins d’intrants (engrais, herbicides…). Mais ces emplois verts sont-ils en mesure de compenser des pertes massives liées à la diminution des vols aériens, au passage à l’automobile électrique (qui requiert moins de main-d’œuvre pour la construction et l’entretien), à la réduction des transports internationaux ? Les économistes ne sont pas tous d’accord sur ce point.

S’en tenir là serait raisonner comme si toutes choses étaient égales par ailleurs. Comme si l’économie, la technologie, les consommations et les modes de vie n’allaient pas changer. Or, parmi les mouvements de transformation les plus puissants à l’œuvre dans le monde, il faut noter l’urbanisation et son corollaire, l’exode rural, d’une part et d’autre part l’extraordinaire accélération de la productivité du travail liée à l’usage massif des technologies (automatisation dans l’industrie, mécanisation du travail agricole sur les territoires où il se fait encore à la main, intervention de l’intelligence artificielle dans les métiers jusqu’alors épargnés). Ces deux facteurs influeront sur la nature des emplois de manière aussi forte, voire plus, que les politiques climatiques.

La question de l’emploi ne peut donc pas être traitée en séparant les conséquences d’une politique de restriction de l’usage des énergies fossiles des autres facteurs économiques, sociaux et technologiques. Seule une vision d’ensemble peut y répondre. Elle doit intégrer l’usage que nous ferons des formidables progrès de la productivité (il faut beaucoup moins d’heures de travail pour fabriquer les mêmes objets ou services) : les dirigerons-nous vers des consommations matérielles accrues ou vers des activités (loisirs, vie sociale et culturelle, temps libre) peu consommatrices de matières premières et d’énergie, surtout si elles sont choisies sur ce critère climatique ?

Enfin, il ne faudrait pas croire que les dégâts du changement climatique seront indolores pour l’emploi et l’activité économique. Pour ne prendre que cet exemple révélateur, une étude de l’Organisation internationale du travail de l’ONU parue en juillet 2019 a calculé que l’augmentation du stress thermique dans l’agriculture, la construction et d’autres secteurs industriels devrait se traduire par une perte de productivité équivalant à 80 millions d’emplois d’ici 2030. À lui seul, ce ralentissement de la productivité – dû à des chaleurs insupportables, en particulier en Asie du Sud et en Afrique de l’Ouest – a été estimé à 2 400 milliards de dollars à l’échelle mondiale.

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