Évaluer les risques du changement climatique ne constitue pas une discipline scientifique mais fait appel à de nombreuses sciences – naturelles, sociales et humaines. Il s’agit donc d’une démarche très multidisciplinaire où les interactions permettent de faire émerger questions et solutions. En 1990, lors du premier rapport du GIEC, cette approche est très peu présente dans les laboratoires de recherche. Les conséquences sur les écosystèmes et les sociétés humaines du changement climatique prévu par les simulations numériques sont donc encore très peu étudiées. Petit à petit, cette science s’est constituée grâce au travail de milliers de scientifiques et universitaires. Leurs résultats et analyses sont synthétisés dans les rapports du groupe 2 du GIEC.
Des agronomes se sont demandé comment les récoltes de blé ou de riz seront perturbées par les températures et la pluviométrie nouvelles à l’aide de calculs et d’expériences de terrain. En comparant ces impacts avec les besoins alimentaires liés aux prévisions de l’augmentation démographique, ils ont conclu à un risque élevé pour la sécurité alimentaire si l’on dépasse les 2 °C d’élévation de température moyenne. Des forestiers se sont penchés sur la réaction des forêts naturelles et plantées et ont montré qu’au-delà de 2 °C les changements seront trop rapides au regard des capacités d’adaptation des arbres. Des halieutes (les spécialistes des stocks de poissons) ont observé les premières migrations dues au réchauffement des eaux et ont cherché à anticiper le futur des pêcheries mondiales dont ils prévoient le déclin, aggravé par la surexploitation. Des médecins se sont intéressés à l’expansion possible des maladies à vecteurs dont les niches écologiques vont s’étendre aux pays de moyenne latitude, ou aux risques de vagues de chaleur en milieu urbain qui provoquent des décès prématurés. Des économistes ont calculé les pertes que provoqueront les catastrophes dues aux événements météorologiques extrêmes, comme l’inondation de villes côtières lors de cyclones. Des sociologues ont étudié comment les systèmes politiques seront ou non capables d’organiser une anticipation des risques afin de s’y préparer au mieux : la mise en place d’une recherche agronomique pour développer des systèmes agricoles adaptés au nouveau climat ou l’édification de protections contre la hausse du niveau marin.
Parmi les résultats majeurs de toutes ces études, l’un est à retenir en priorité : l’impact du changement climatique sera très inégalitaire. Une inégalité géographique, tout d’abord. La hausse du niveau marin chassera de leurs territoires des populations occupant des côtes basses. Ces migrations forcées se répercuteront sur les régions avoisinantes, et si des frontières nationales sont concernées, elles sont susceptibles de provoquer des conflits diplomatiques, voire militaires, entre pays. Les régions déjà chaudes ou désertifiées seront plus vulnérables aux élévations de température et aux sécheresses. Une inégalité sociale, ensuite. De nombreux risques climatiques peuvent être l’objet d’adaptations préventives afin d’en limiter le danger, comme la transformation des villes ou la sélection de semences plus adaptées au climat futur. Mais ces ajustements supposent la mobilisation de moyens financiers, techniques, et une capacité d’anticipation des systèmes politiques. Riches et dotées de systèmes politiques compétents et non corrompus, les sociétés seront en capacité de s’adapter ; pauvres et affligées de dictatures incompétentes et prédatrices, elles prendront de plein fouet les risques du changement climatique sans préparation. Ces inégalités fortes entre sociétés, alors même que les populations riches sont principalement responsables des émissions de gaz à effet de serre, sont susceptibles de déclencher des colères, et donc des actions violentes d’individus, de groupes sociaux et d’États.
Cette science des risques du changement climatique a permis aux experts du GIEC de conclure que la balance bénéfices-risques des combustibles fossiles plaide en faveur d’une politique de restriction de leur usage afin d’atténuer la menace climatique.