La démocratie politique signifie que les citoyens, en choisissant leurs gouvernants et législateurs, déterminent la politique de la nation. Mais cela requiert un préalable souvent négligé : ces mêmes citoyens doivent opérer leurs choix en connaissance de cause. Or, les Français peuvent-ils demander une politique climatique efficace, et choisir les élus en conséquence, s’ils ne maîtrisent pas les données essentielles du dossier scientifique et technique du climat ? Les enquêtes sociologiques réalisées chaque année par l’Ademe depuis 2000 sur « la représentation sociale de l’effet de serre » montrent à quel point nous sommes loin d’une bonne compréhension.
L’une des questions posées est ainsi présentée : « À votre avis, lorsque l’on parle aujourd’hui du réchauffement de l’atmosphère terrestre dû à l’augmentation de l’effet de serre, est-ce plutôt ? » Puis deux réponses sont proposées : « Une certitude pour la plupart des scientifiques » ou : « Une hypothèse sur laquelle les scientifiques ne sont pas tous d’accord ». La première réponse correspond à la réalité. Pourtant, de 2000 à 2018, entre 24 % et 45 % des Français choisissent la seconde, et encore 39 % en 2018. On est donc très loin d’un consensus. De plus, lorsque l’on pose la question, sans réponses proposées : « Selon vous, a quoi est dû le changement climatique ? », seuls 2 % répondent spontanément : « Effet de serre » et 5 % « CO2 ». Les deux réponses les plus fréquentes sont très vagues : « La pollution » ou : « Les activités humaines ».
Surtout, une interrogation permet de mesurer la compréhension de la population du phénomène physique essentiel en cause : l’émission de CO2 par l’utilisation des énergies fossiles. « Pour chacune des activités que je vais vous citer, dites-moi si, d’après ce que vous savez, elle émet beaucoup, assez, peu ou pas du tout de gaz à effet serre. » Parmi les réponses proposées, l’une est rédigée ainsi : « Les centrales de production d’électricité au gaz au charbon et au fuel ». Les réponses « Beaucoup ou assez » peuvent faire croire que la compréhension est bonne puisqu’elle culmine à 93 % en 2018 (un pourcentage en hausse depuis 2014, lié à l’ajout des mots « gaz », « charbon » et « fuel » dans la question). Malheureusement, une autre réponse obtient un score très élevé, avec 60 % en 2018. Or, cette réponse « Beaucoup ou assez » concerne « les centrales nucléaires » qui n’en émettent pas en fonctionnement puisqu’elles utilisent de l’uranium. Du coup, on s’interroge sur la « bonne » réponse apportée à la question sur les centrales à énergie fossile. D’autant plus qu’une autre enquête sociologique révèle que cette réponse erronée au sujet des centrales nucléaires est d’autant plus forte que l’on est jeune… ou opposé à la technologie nucléaire.
En résumé, la majorité des Français s’accorde sur le fait que le changement climatique est provoqué par nos émissions de gaz à effet de serre, mais cette majorité s’oppose à une forte minorité. Et des questions plus précises sur l’effet de serre et les émissions de différentes technologies montrent une confusion persistante entre celles qui en émettent et celles qui n’en émettent pas ou peu. Une situation peu propice à des débats publics clairs et sincères sur la politique climatique à conduire. Les questions relevant du changement climatique, de sa compréhension, mais aussi des choix qu’il va impliquer dans beaucoup de secteurs de la société (énergie, transports, urbanisme, loisirs…) vont devenir plus prégnantes encore dans les décennies à venir. Pour avoir efficacement voix au chapitre, l’éducation des citoyens doit constituer un enjeu essentiel. D’où l’importance d’une politique ambitieuse de formation des jeunes, des enseignants, des journalistes de l’ensemble de la population aux enjeux climatiques.