Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est créé en novembre 1988. À la demande des chefs d’État et de gouvernement réunis alors dans le G7 – États-Unis d’Amérique, Japon, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Canada, Italie – et notamment à l’instigation de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. On pourrait s’étonner a posteriori de voir des dirigeants de pays capitalistes très proches de l’industrie mettre en place une expertise à destination environnementale, mais ce serait se leurrer sur les objectifs de ces derniers.
Resituer cette demande dans la chronologie des savoirs sur le climat permet d’en comprendre la date. En 1988, l’élévation des teneurs de l’atmosphère en gaz à effet de serre ne fait plus de doute. Cela fait près de dix ans que l’Académie des Sciences américaine a publié le rapport de Jule Charney (1979). Ce dernier alertait sur le risque climatique en s’appuyant sur la montée de la concentration en CO2 de l’atmosphère et sur des calculs aboutissant à une hausse de la température moyenne planétaire d’environ 1,5 °C à 4 °C pour un doublement de cette teneur, proche de celle qui sépare une ère chaude d’une ère glaciaire. Or, en 1987, les équipes de Jean Jouzel et Claude Lorius ont publié les analyses des carottes de glace forées par les Russes à la station Vostok (Antarctique) révélant les liens passés entre taux de gaz à effet de serre et évolution du climat. Pour la première fois, il était possible de relier teneurs en CO2 atmosphériques et températures sur 150 000 ans, donc de mesurer cette relation dans le temps d’un passage d’une ère chaude à une froide puis à notre ère chaude. Cette « vérité terrain » oblige à prêter beaucoup plus de confiance aux simulations du futur climatique. Aux États-Unis, la sécheresse violente de l’été 1988 conduit le Congrès à auditionner le climatologue James Hansen, de la Nasa, qui affirme aux élus que le réchauffement climatique est déjà mesurable et qu’il est certainement dû aux émissions de gaz à effet de serre.
Mais les motivations de Ronald Reagan et Margaret Thatcher sont ailleurs. Ils ne veulent pas voir une agence de l’ONU (son Programme pour l’environnement), soupçonnée de militantisme écologique, mettre la main sur l’expertise climatique. Or, s’il est ouvert à tous les membres de l’ONU, et son secrétariat pris en charge par l’Organisation météorologique mondiale, le GIEC prend ses décisions majeures en réunion plénière, par un vote des délégations gouvernementales qui recherchent le consensus. C’est le cas pour le choix des thèmes des rapports spéciaux et pour la nomination de son bureau – duquel dépend toute une cascade de nomination d’experts pour l’écriture des rapports. Et surtout pour l’adoption phrase par phrase du fameux « résumé pour décideurs » qui condense en quelques dizaines de pages les milliers de feuillets des rapports complets. Dans un tel processus, le poids politique et diplomatique des pays pourrait n’être que peu conforme à l’égalité de façade que l’ONU affiche. En outre, la dirigeante britannique, encore engagée dans un combat mortel contre les syndicats des mineurs de charbon, voit d’un bon œil un discours qui en prône l’abandon pour des raisons plus respectables que son objectif politique.