Dans les sédiments accumulés dans les fonds marins à différentes profondeurs se cachent des informations précieuses sur les climats anciens de plusieurs millions d’années. Y prélever des carottes permet de reconstruire l’évolution climatique bien plus loin dans le temps que les calottes de glace. En Antarctique, « l’horizon des glaces » s’arrête à 1,5 million d’années, près du socle rocheux. Les planchers océaniques peuvent être beaucoup plus vieux, mais ils ont leurs limites temporelles et dépassent rarement les 200 millions d’années. Les carottages marins se sont développés à partir des années 1960, dès qu’on a su construire des carottiers permettant de remonter à bord de longues colonnes de sédiments. Le record mondial atteint 60 mètres pour le carottier du Marion Dufresne, un navire de recherche océanographique français.
Dans la vase des carottes se nichent par milliers les squelettes calcaires de foraminifères, de minuscules animaux marins vivant près de la surface des océans au milieu du plancton. Très abondants, présents dans tous les océans et mers de la planète, connus à travers au moins 6 000 espèces différentes, ces foraminifères sont des témoins climatiques précieux et précis. Les océanographes savent reconstituer les températures de surface des océans à l’époque où ils vivaient en identifiant les espèces, en comptant les individus dans les différentes couches de sédiments et en analysant la composition des squelettes. Cet outil fonctionne sur des dizaines de millions d’années. L’analyse et la datation des carottes marines provenant de toutes les mers du monde ont permis de reconstruire l’évolution des températures océaniques, la salinité et d’autres paramètres géochimiques liés aux mouvements des masses d’eau.
Cette analyse n’est pas toujours aisée. Les foraminifères peuvent s’adapter à des conditions climatiques nouvelles en modifiant la profondeur à laquelle ils vivent. Compter et identifier les espèces de foraminifères ne suffit donc pas toujours. Il faut également utiliser des outils très sophistiqués, comme le thermomètre isotopique : l’analyse des proportions des différents isotopes de l’oxygène de la calcite des squelettes des foraminifères. Une mesure délicate car cette proportion est certes liée à la température de l’eau où a vécu le foraminifère, mais aussi à la composition isotopique de l’oxygène de l’eau de mer. Heureusement, les paléo-climatologues disposent d’autres indicateurs de température, issus notamment de l’analyse de la chimie de certaines molécules organiques, dont ils comparent les valeurs à celles données par l’analyse des foraminifères. Ils disposent également d’un matériel expérimental – l’élevage en conditions contrôlées de foraminifères – pour vérifier leurs hypothèses.
Ce travail patient, mis en commun pour toute la communauté des paléo-climatologues, a permis de constituer des archives climatiques de grande qualité. Ces enregistrements, disponibles dans tous les bassins océaniques pour différentes latitudes, ont ainsi révélé la cause des oscillations climatiques de grande amplitude du Quaternaire. C’est l’analyse des sédiments marins qui a confirmé pour la première fois la théorie astronomique de Milankovitch (astronome serbe qui publia sa théorie en 1940) : ce sont bien les paramètres orbitaux de la Terre dans sa course autour du Soleil qui ont provoqué les alternances entre ères glaciaires et interglaciaires des deux derniers millions d’années.
