Pourquoi modéliser les climats du passé ?

Le problème principal des projections climatiques, les simulations du climat futur, est l’évaluation de leur fiabilité. Dans quelle mesure peut-on leur faire confiance ? Pour le savoir, il est possible de tester les modèles pour la période instrumentale, celle où l’on dispose de séries de mesures enregistrées avec des instruments calibrés comme les thermomètres. Il est alors possible de comparer le climat passé, depuis environ 1880, simulé par les modèles et les observations de ce passé. Mais cette méthode ne permet pas de remonter très loin dans le temps. Elle ne permet pas non plus d’accéder à des changements climatiques de grande amplitude comme ceux vers lesquels nous nous dirigeons.

Le climat très récent, avec toutes les données satellitaires dont nous disposons depuis une quarantaine d’années, constitue le meilleur banc de test de nos modèles. Les simulations peuvent se comparer à des données couvrant toute la planète, très nombreuses et très précises. Cependant, nos modèles climatiques ne peuvent pas représenter directement les processus à petites échelles spatiales, comme la microphysique des nuages, la turbulence, la dynamique des tourbillons océaniques. Pour les prendre en compte, il est nécessaire d’utiliser des lois empiriques avec des paramètres optimisés à partir d’observations. Il est donc fondamental de tester ces paramétrisations dans des conditions climatiques différentes du présent. Seul le passé climatique plus lointain offre la possibilité de tester la capacité de nos modèles à reproduire des climats différents et pour lesquels nous pouvons les confronter à des données paléo-climatiques.

Les paléo-climatologues se sont donc organisés à l’échelle internationale pour constituer des bases de données pour des périodes au climat différent du nôtre. Des périodes clés du dernier cycle glaciaire-interglaciaire présentent ainsi des changements climatiques intéressants. Les deux mille dernières années sont très bien documentées, mais sans changement climatique d’amplitude comparable à celui que nous vivons. L’Holocène moyen, il y a 6 000 ans, est marqué par une plus forte saisonnalité et un renforcement des moussons, avec un Sahara vert. Le dernier maximum glaciaire, il y a 21 000 ans, est la période du dernier cycle glaciaire/interglaciaire de plus bas niveau marin, environ 120 mètres de moins qu’aujourd’hui, avec une baisse de température planétaire annuelle de l’ordre de 4 °C. Enfin, le dernier interglaciaire, il y a environ 130 000 ans, ressemble à notre époque, mais s’équilibre à des températures plus hautes d’environ 2 °C en moyenne globale annuelle et à un niveau marin de 6 à 9 mètres plus élevé. Toutes ces périodes sont donc intéressantes pour tester les modèles, mais le taux de CO2 y reste confiné à des variations comprises entre 180 ppm (en période froide) et 280 ppm (en période chaude). Pour trouver des taux de CO2 similaires à l’actuel (410 ppm ), voire au futur proche, il faut remonter plus loin dans le temps, au Pliocène moyen, il y a 3 millions d’années, ou lors de l’optimum climatique du Miocène il y a 16 millions d’années. Ce sont des climats chauds avec un taux élevé de dioxyde de carbone, mais nos informations sur ces climats sont moins nombreuses et moins précises que pour le Quaternaire.

Pour tester les modèles dans ces différentes configurations climatiques, il a fallu définir un cadre strict dans lequel réaliser des simulations et leur comparaison aux bases de données.

Comme les modèles climatiques sont basés sur la dynamique et la thermodynamique de l’atmosphère et de l’océan, ils peuvent s’appliquer pour des périodes géologiques très éloignées dans le temps. L’horizon temporel est cependant limité par notre capacité à restituer la distribution des continents avec suffisamment de précision, et s’arrête donc à environ 1,5 milliard d’années. En outre, ces simulations permettent essentiellement de calculer des climats à l’équilibre, stabilisés. L’objectif du climatologue est de décrire un système à l’équilibre, c’est-à-dire où les processus qu’il étudie ont un temps de réponse bien inférieur au temps sur lequel il va faire ses moyennes, de manière à obtenir des résultats statistiquement significatifs. Or, nous vivons une expérience inédite et transitoire. En effet, la perturbation que nous faisons subir à notre planète est bien plus rapide que le temps de réponse de certaines de ces composantes. Par exemple, l’océan a un temps de réponse de la centaine au millier d’années tandis que nous produisons une perturbation majeure depuis à peine 200 ans. Notre climat est donc hors d’équilibre. Il est ainsi essentiel de savoir si nos modèles climatiques répondent bien à ces perturbations. Là encore, simuler les transitions climatiques clés du passé constitue un test important dans notre compréhension des changements climatiques et dans la validation des modèles.

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