Les calculs astronomiques montrent que notre interglaciaire est naturellement long et qu’il devrait durer près de 50 000 ans (dont 10 000 déjà écoulés), après quoi la baisse de l’insolation estivale conduira inévitablement à une glaciation longue et prolongée du même type que les précédentes. Mais est-il possible d’envisager que l’homme modifie ce bel agencement ? La perturbation anthropique, celle que nous faisons subir à la composition de l’atmosphère en émettant des gaz à effet de serre, ne pourra durer au-delà des réservoirs de combustibles fossiles. Or, ces réserves sont limitées. Pour le charbon, elles sont estimées à environ deux cents ans, mais pétrole et gaz seront épuisés bien avant. Si nous continuons à utiliser les combustibles fossiles au rythme qui est le nôtre (scénarios climatiques qualifiés de business as usual), une conséquence climatique majeure de ces perturbations sera la fonte des calottes de glace.
Tout dépendra donc de l’ampleur et de la rapidité de cette fonte. La dernière déglaciation commence il y a 20 000 ans et, en seulement 10 000 ans, voit disparaître deux énormes calottes de glace qui occupaient le nord de l’Amérique et de l’Europe, entraînant une augmentation du niveau marin de 120 mètres. Mais les enregistrements montrent qu’il ne s’agit pas d’une augmentation régulière qui correspondrait à 12 millimètres par an. On sait que la déglaciation ne s’est pas effectuée comme un simple remplissage de baignoire. Au contraire, les calottes aujourd’hui disparues ont fondu par à-coups, avec des phases spectaculaires d’accélération conduisant à une remontée du niveau marin d’une quinzaine de mètres en moins de deux cents ans.
Sous la pression anthropique, les calottes de glace restantes, Groenland et Antarctique, ont commencé à fondre. Les satellites nous montrent même que cette fonte s’accélère. Rien d’étonnant à voir disparaître ces énormes masses de glace dans un monde chaud avec une concentration de gaz carbonique de plusieurs centaines de ppm . Elles ne peuvent tout simplement pas survivre, le bilan radiatif, avec de telles teneurs en gaz à effet de serre, leur devient trop défavorable. Rappelons que l’Antarctique, bien que situé au pôle Sud depuis 100 millions d’années, ne s’est englacé qu’il y a 34 millions d’années, lorsque le CO2 atmosphérique est descendu sous les 800 ppm environ. Et c’est seulement il y a 3 millions d’années, quand le CO2 a atteint une valeur de l’ordre de 300 ppm , que le Groenland s’est englacé à son tour. Ce phénomène est-il réversible ?
La remontée du CO2 est bien plus rapide que pendant la dernière déglaciation : 100 ppm en 10 000 ans pour cette dernière contre plus de 130 ppm (entre 411 aujourd’hui et 280 ppm avant l’ère industrielle) en à peine deux siècles. Le scénario le plus pessimiste du GIEC nous conduirait même à dépasser les 1 300 ppm d’ici la fin du siècle, ce qui menace directement les calottes du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest, plus vulnérables à court terme que l’Antarctique de l’Est. Tout dépendra du tempo de cette déglaciation. Si ces deux calottes disparaissent en quelques siècles, en dehors de la contribution à l’élévation du niveau marin qui serait d’une douzaine de mètres, nous serons dans une situation comparable au climat du Pliocène moyen (il y a 3 millions d’années), où la teneur en CO2 de l’atmosphère était d’environ 400 ppm avec un niveau marin de 15 mètres plus élevé, sans calotte de glace sur le Groenland ni sur l’Antarctique de l’Ouest.
Une autre caractéristique de la perte de calotte de glace dans l’hémisphère Nord est qu’au Pliocène, il n’y avait pas d’oscillations glaciaire/interglaciaire comme on les connaît depuis plus de 1 million d’années. Il est donc possible que la prochaine baisse sensible d’insolation aux hautes latitudes de l’hémisphère Nord, due à la variation des paramètres orbitaux et qui devrait intervenir dans 40 000 ans, ne soit pas en mesure de produire un basculement vers une ère glaciaire.