Le « Groenland » a-t-il réellement été vert ?

Pourquoi le chef viking Erik le Rouge baptise-t-il « Terre verte » le Groenland, qui, lorsqu’il découvre cette île en arrivant d’Islande, est essentiellement blanche et recouverte d’une calotte de glace peu différente de celle que nous connaissons aujourd’hui ? Intéressons-nous d’abord à la découverte et à la colonisation du Groenland.

Eirikr Thorvaldson, dit Erik le Rouge du fait de sa chevelure et barbe rousses, est banni d’Islande et doit s’exiler. Il navigue plein ouest et atteint en quelques jours le Groenland, situé à environ 300 kilomètres de l’Islande, mais doit débarquer au sud de l’île à cause de la banquise. Même s’il n’est pas le découvreur de ces terres, il va jouer un rôle déterminant dans leur colonisation. Après trois ans d’exil pendant lesquels il a exploré la côte orientale, il retourne en Islande en 892. De là, il prépare une expédition vers ce pays et en fait la publicité en lui choisissant ce nom attractif de « Terre verte ». Les archives climatiques, les pollens, les sédiments marins mais surtout les forages de glace au Groenland révèlent effectivement des températures plus clémentes sur l’Atlantique nord entre la seconde partie du IXe siècle et la fin du XIVe siècle, période de l’histoire du climat baptisée « optimum médiéval ». Ces conditions ont indéniablement favorisé l’expansion de la culture viking, en termes de navigation, de colonisation et de commerce. Le Groenland était donc un peu plus vert sur sa partie sud-ouest pendant cet optimum médiéval, et la navigation plus facile. Mais les récits vikings permettent de raison garder. Sur les 25 navires qui quittent l’Islande avec Erik le Rouge, seuls 14 arriveront au Groenland. 350 colons y débarquent. On est loin d’une migration de masse. Et cette population de colons, durant quatre siècles, ne dépassera jamais 2 000 habitants, avec d’importantes fluctuations.

Pendant presque un demi-millénaire, le Groenland est peuplé dans sa partie sud-ouest, dans des vallées protégées des vents au fond des fjords. On a dénombré environ 600 fermes, 500 à l’est, sur l’emplacement de la ville actuelle de Qaqortoq, et une centaine à l’ouest, sur le site de la ville de Nuuk, dont l’exploitation n’est pas simultanée. L’élevage, la pêche et la chasse ont été les principales activités et ont permis l’exportation des fourrures, peaux et dents de morse. L’économie du Groenland, qui dépend de l’Ouest européen pour le bois et le fer, reste fragile. Christianisée, la population bénéficie d’un évêché créé en 1126, situé à Graddar. Le dernier évêque y est envoyé en 1377, le dernier acte officiel connu date de 1409. Les palynologues (spécialistes de l’étude des pollens) montrent qu’au moment de l’arrivée des premiers colons, saules et bouleaux se dressaient sur le territoire du Groenland, trop vite exploités. Dès la fin du XIIe siècle, les conditions climatiques se durcissent. Les glaces arctiques s’étendent en effet vers le sud, le courant froid à l’ouest du Groenland s’intensifie, et les habitants des colonies situées à l’ouest ne résistent pas à ce refroidissement et disparaissent. Elles sont abandonnées vers 1350, privant la population de produits d’exportation. L’Islande est alors encerclée par la banquise pendant de longues semaines, et le Groenland pendant de très longs mois. Danemark et Norvège, affaiblis par la peste noire, prêtent moins d’attention à leur colonie du Groenland, elle-même sur le déclin. Lorsque le drakkar Knorr, qui apportait l’approvisionnement annuel du Danemark, fait naufrage en 1367, il n’est pas remplacé. Quand on fouille les fermes abandonnées du côté oriental, où la vie a pu se maintenir jusqu’en 1500, les squelettes des derniers colons révèlent un fort rachitisme confirmant des conditions de vie extrêmes.

Le climat a été un facteur déterminant de la colonisation du Groenland et de son déclin funeste. Cette saga d’un demi-millénaire illustre le danger d’une surexploitation des ressources naturelles par la déforestation, l’érosion des sols, et la limite des capacités d’adaptation. Des populations viking et inuit qui cohabitèrent au Groenland, seule la seconde, réellement autonome, survécut, encore que très difficilement. Vulnérables, les populations vikings ne résistèrent pas à une détérioration brutale des conditions climatiques après 1400.

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